Millésime Impérial

Les Gantiers : la relation entre gants et parfum

Longtemps ornements réservés à la royauté et à l'aristocratie, le parfum et les gants vont de pair. Mais pourquoi ont-ils été les accessoires incontournables des riches et puissants ?

Alfred d'Orsay, artiste, mécène et dandy

L'un des plus grands dandys du XIXe siècle, le comte d'Orsay a marqué son époque dans le Londres victorien. Fils excentrique de l'un des généraux de Napoléon, il était bien plus intéressé par l'extravagance et les tenues fabuleuses que par les armes à feu. « Ce n'était pas un homme qui se souciait des factures », a d'ailleurs écrit Charles Creed dans ses mémoires Maid To Measure, « mais mon grand-père a trouvé très gratifiant de l'habiller ». Ce qui n'est pas surprenant, car en tant que l'un des principaux tailleurs de Londres à l'époque, Henry Creed aurait énormément bénéficié des goûts extravagants du noble français. Le comte dépassait d'ailleurs Beau Brummell, dandy ultime, en matière de gants extravagants. Il était célèbre pour porter six paires par jour : des gants en peau de renne pour sa promenade matinale, du chamois pour la chasse, du castor pour le trajet jusqu'à Londres, des gants de chevreau tressés pour les courses de l'après-midi, des gants jaunes en cuir de chien pour un dîner mondain, et ensuite, pour le bal du soir, du cuir d'agneau brodé de soie. Faits sur mesure et doux au toucher, ces parfums étaient sans doute parfumés.

Londres 1665-1666

Le fait de parfumer des gans était en réalité une coutume bien établie, pour ceux qui pouvaient se permettre à la fois le parfum et le cuir. En plus de masquer l'odeur forte laissée par le processus de tannage, c'était également considéré comme une précaution qui pouvait vous sauver la vie. En effet, pendant la Grande Peste de Londres (1665-1666), les gants parfumés sont devenus une forme précoce d'équipement de protection individuelle. Ils étaient portés pour éloigner non seulement les odeurs courantes, mais aussi les miasmes (vapeurs malsaines) censés véhiculer la peste bubonique mortelle. Le roi Charles Ier et Oliver Cromwell possédaient tous deux des gants parfumés coûteux et, avant eux, les gants sertis de joyaux d'Elizabeth Ier ou gants « sweet » étaient imprégnés d'herbes et d'épices. Le roi George III portait lui aussi des gants parfumés plus d'un demi-siècle avant qu'Henry Creed n'habille le comte d'Orsay. Comme tout aristocrate respectable de l'époque, le comte aurait porté des gants parfumés lorsqu'il fréquentait la cour odorante de Versailles...

Les premiers parfums

Les premiers parfums contenaient des notes florales telles que le jasmin, l'iris, la lavande, les violettes et la camomille, ainsi que des notes épicées d'ambre jaune, de camphre et de clous de girofle. Il y avait aussi des ingrédients d'origine animale, provenant notamment de civettes, de chevreuils musqués et, dans le cas de l'ambre gris, du cachalot. Ainsi, des poudres parfumées étaient transportées dans des sachets en tissu, des pâtes transformées en perles parfumées, et des vêtements cousus à partir de tissus imprégnés de parfum.


Le concept de gants de travail

Bien qu'on pense que les Romains ont introduit le concept de gants de travail en Grande-Bretagne, ce sont probablement les Normands qui ont introduit la pratique de porter des gants pour l'apparat. Les gants ont rapidement été adoptés par le clergé et la noblesse, et la fabrication de gants est devenue une activité lucrative. Des guildes ont été créées dans toute l'Europe, en France en 1342 et en Grande-Bretagne en 1349. Difficiles à fabriquer, à couper et à coudre à la main, les gants bien faits étaient un article de luxe coûteux. Adoptés comme symbole de richesse et de statut, ils sont souvent représentés dans les portraits de l'aristocratie.

Autre symbole de richesse, le parfum permettait aux plus nantis de faire des démonstrations ostentatoires de leur statut en achetant des articles en cuir parfumé tels que des gants, des chaussures, des ceintures et même des fourreaux d'épée. Il y avait aussi des bijoux parfumés, des vêtements parfumés et même des boutons parfumés. Catherine de Médicis aurait introduit la nouvelle mode des gants parfumés à la cour française depuis sa Florence natale au XVIe siècle, avec des gants « frangipani » parfumés au jasmin et popularisés par le marquis de Frangipani, un courtisan italien de Louis XIII. Les gants parfumés étaient généralement associés à des bottes parfumées, et les plis des éventails étaient également parfumés. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, à la cour de Louis XIV, l'aristocratie française a poussé le parfum à un niveau supérieur en se faisant créer des essences sur-mesure et en faisant installer des fontaines parfumées. Les gants parfumés sont devenus une possession recherchée : en 1666, la princesse Anna Sophie du Danemark avait une dot composée de 10 paires de gants « frangipani » et de 23 paires moins chères parfumées à l'ambre gris.

Où étaient confectionnés ces gants parfumés ?

Bien que les gants parfumés aient été traditionnellement confectionnés en Italie, où ils étaient parfumés au musc, à la civette et au beurre d'iris, et en Espagne, où le camphre et l'ambre gris étaient privilégiés, ils étaient également populaires et fabriqués au Portugal et en Angleterre. La reine Elizabeth Iᵉʳ en a lancé la mode en Angleterre, après avoir reçu en cadeau une paire de gants parfumés de la part du comte d'Oxford – le parfum de ces gants est d'ailleurs devenu connu sous le nom de « Earl of Oxford’s perfume ». La reine n'a bientôt plus pu s'en passer, à l'instar de toute la cour. La reine Elizabeth avait toujours été une fan de parfum, tout comme son père, Henri VIII, bien qu'elle préférât un parfum sirupeux composé de musc et d'eau de rose, et un parfum sec de marjolaine douce. Cependant, c'est en France que se sont établis les meilleurs fabricants de gants parfumés d'Europe et, bien que Paris ait été un acteur majeur, c'est à Grasse que le commerce s'est développé.

Grasse était située à l'endroit parfait pour devenir le berceau de l'industrie française du parfum. Son climat modéré (de longs étés chauds avec peu de pluie) et son sol riche offraient des conditions inégalées pour la culture de fleurs parfumées telles que la Rosa centifolia, la tubéreuse, le jasmin, le mimosa et la lavande. De plus, les tanneries de cuir y étaient établies depuis longtemps (depuis le Moyen Âge) et l'accès facile aux ingrédients parfumés signifiait que les cuirs pouvaient être parfumés sur place.

Mis en fleurs : comment parfumer des gants

Parfumer les gants était un processus long et délicat, impliquant une certaine maîtrise technique. Tout d'abord, pour le débarrasser des odeurs de tannage, le cuir était trempé dans une solution aromatique ou frotté avec des pâtes parfumées. Le cuir était ensuite coupé, puis les gants cousus et teints. L'étape suivante était la mise en fleurs, au cours de laquelle les gants étaient placés sur plusieurs couches de fleurs dans une boîte fermée. Les pétales étaient renouvelés toutes les 12 heures, puis les gants étaient suspendus pour sécher. Après huit jours de ce traitement, les gants se seraient ainsi imprégnés du parfum, tandis que leur intérieur était poudré pour un enfilage facile. La mode de ces gants fortement parfumés a persisté en France jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. En 1759, Louis XV a imposé une taxe sur les gants parfumés fabriqués en France, ce qui les a rendus trop chers pour l'ensemble de la population, à l'exception des classes aristocratiques. Dans les années 1760, les impôts ont augmenté pour les tanneries, ce qui a marqué leur déclin à Montpellier et à Grasse. Grasse a toutefois survécu, la ville fournissant la plupart des ingrédients nécessaires aux parfums floraux et pouvant ainsi se rabattre sur le commerce du parfum.

Les gants : quelle importance aujourd'hui ?

Le monde étant devenu plus propre et plus hygiénique, il est devenu moins nécessaire de porter des gants. La mode de parfumer le cuir a d'ailleurs disparu au XIXe siècle. Avec la mécanisation de la fabrication des gants, ceux-ci sont devenus plus abordables et leur importance en tant que marqueur distinctif de goût et de richesse a diminué. Cependant, la mode des gants a continué jusqu'au début des années 1960 avant de disparaître, comme les chapeaux, à l'exception d'une brève période de popularité dans les années 1980. Mais est-ce que la tendance est sur le point de changer ? Aujourd'hui, dans un monde de masques de désinfectant pour les mains, les gants sont-ils sur le point de faire un retour ? À bien des égards, les conditions pour que la mode redécouvre l'allure des gants sont déjà en place. Mais si les gants font leur retour, peut-être est-il temps de réinventer le gant parfumé – à autre chose qu'au latex médical. Peut-être cette fois avec une touche moderne de « Love in Black » de Creed et son parfum enivrant de violette ?